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 [Découverte de Frozen Head State Park (FHSP)]                                     

J’arrive le lundi 19 mars en fin de journée à l’aéroport. J’y retrouve Rémy, un Vétéran de la Barkley, au comptoir de voiture de location. Nous avions découvert deux jours avant que par le plus grand hasard nous dormions au même hôtel du moins pour moi le premier soir. Nous prenons tous deux nos voitures et rejoignons l’hôtel. Comme, il est très tard, Rémy m’indique qu’il ne souhaite pas dîner. Toutefois, nous nous retrouvons dans la salle à manger de l’hôtel pour discuter et prendre un café.  J’indique à Rémy que je souhaite partir tôt pour reconnaître le North Boundary Trail (NBT). Il préfèrerait passer une bonne nuit. C’est dommage, nous avons le même programme. J’ai juste une contrainte, de retrouver Benoit à l’aéroport vers 17H. Avant de nous quitter, je lui indique de m’envoyer un message pour m’indiquer si il change d’avis. Finalement, je reçois un message vers 5H du matin. Nous nous retrouvons au petit déjeuner à 6H.

Nous prenons ma voiture et nous dirigeons vers FHSP. Je suis comme un gamin, impatient de découvrir les lieux que j’imagine depuis plus de quatre mois à la lecture des nombreux comptes rendus, du livre d’Ed Furtaw et des autres documents que j’ai pu recueillir. Ma première impression est que c’est beaucoup plus joli que je l’imaginais, j’adore les paysages que je découvre. C’est un endroit où je passerai volontiers quelques jours pour profiter des lieux, bien moins austère que les photos du site de Matt Mahoney. Après nous être garés, je découvre le camp. Je l’imaginais plus rustique. C’est à l’américaine, les emplacements de camping sont géants, les sanitaires king size et parfaits. Après quelques photos à la fameuse barrière jaune, nous partons en direction du NBT.

Dès que nous quittons le chemin et rejoignons le sentier Rémy se met à courir. Je le laisse partir et reste à mon rythme. Je ne compte pas user de batteries aujourd’hui et surtout je souhaite au maximum m’imprégner des lieux et prendre des photos.  Je le rejoins au col ou il m’attend depuis un petit moment. Nous entamons la descente dans Philipps Creek. Je trouve la section mon austère que celle que j’imaginais, il y a même de très jolies fleurs. Après une petite pause sur le coin nord-ouest du park, nous poursuivons en direction de l’Est, Jury Ridge, puis Bald Knob, puis Son Of a Bitch Ditch... Bien que je ne sois jamais venu, j’ai un peu l’impression de connaître mieux le parcours que Rémy, ce qui me rassure un peu. Après un petit jardinage, nous allons jusqu’à Garden Spot où nous croisons un autre coureur Ally. Il dégage une impression de force et est particulièrement affûté. Nous entamons ensuite le chemin qui mène vers Coffin Spring. Là je suis très surpris de la végétation et de la topographie du terrain. Alors que je m’imaginais voir une montagne bien marquée et dégagée. Il n’en est rien, c’est peu accidenté et même sur les points les plus hauts la forêt est dense. A un petit col ou un sentier quitte le chemin, nous stoppons. Je suis incapable de localiser où nous sommes. Je prends quelques photos pour essayer de le faire plus tard. Il est déjà tard et nous décidons de faire demi-tour. Nous prenons le même parcours pour rejoindre Bald Knob. En route, près de SOB Ditch nous croisons Cyrille avec qui nous discutons un peu. Vers Bald Knob, nous prenons la quitters road, le chemin qui ramène directement au camp. Finalement, nous réalisons une superbe sortie environ 27 km  pour 1750m de dénivelées positive et négative en 5h30 pile comme prévu. Je suis content de mon niveau de fraicheur à l’issue de cette balade.

Nous rejoignons notre hôtel à Oak Ridge. Je prends une douche rapide dans la chambre de Rémy et après l’avoir salué prend la route de l’aéroport où je rends la voiture de location. J’attends quelques minutes Benoit et son père qui finissent par arriver en camping-car.

Nous reprenons la route d’Oak Ridge où nous nous arrêtons pour faire les courses dans un Wallmart. Beaucoup de choses m’étonnent dans ce supermarché. En France, généralement au moins 50% de la superficie est allouée à la nourriture, là c’est à peine 25%. Il y a un rayon pêche où peut y acheter un nombre incroyable de cannes à pèches, de quoi camper… et même des armes de gros calibres, incroyable. Après avoir fait le tour de la partie non alimentaire et récupéré quelques éléments stratégiques comme une chaise de camping et du scotch large transparent, nous nous dirigeons vers la zone alimentaire.  J’arrive sans trop de mal à trouver ce que je cherche en sucré, Snickers, Bounty, Twix. Benoit essaie de me convaincre de prendre des barres américaines. Je ne les connais pas alors, un peu prude, je me limite à des barres « Nature Valley » Salted Caramel, Chocolate. Je crois que le caramel salé a achevé de me convaincre. Pour le salé, je n’ai pas trop le choix, je fais confiance à Benoit. Il est vrai qu’en termes de lyophilisé, il y a un choix très large. Moi qui pensais devoir me contenter de nouilles chinoises, je ne sais que choisir de la purée, des pâtes au Cheddar… Nous finissons par remplir trois charriots. Je passe à la caisse et au moment de payer la caissière me demande ma carte d’identité. Au début, je ne comprends pas, mais finalement, je saisis que c’est dû aux bières et au vin que j’ai mis sur le tapis. Malheureusement, je n’ai pas ma carte d’identité sur moi. Je lui indique que je ne suis pas tout jeune. Rien n’y fait, la demoiselle appelle sa chef. Apparemment elle ne sait pas prendre de décision toute seule…  Benoit fini par payer l’alcool, mais au bout de palabres qui durent bien dix minutes ou la chef de la caissière s’assure auprès de sa chef de la procédure en gros que Benoit peut bien payer l’alcool alors que c’est moi qui l’ait mis sur le tapis... Nous sommes en plein délire. Ils ont réinventé l’administration française, mais dans le secteur privé !?

Nous sortons  remplissons le coffre externe du camping-car de nos achats et repartons en direction de Frozen Head (FH). Le papa de Benoit, Patrick, me fait remarquer qu’il y a plus d’une vingtaine d’églises entre Oak Ridge et FH. Je n’avais même pas remarqué lors de ma première escapade, mais il a raison. Nous en compterons plus de 20 en une bonne demi-heure de route! C’est impressionnant de voir une telle densité de lieux de culte dans une contrée aussi peu peuplée. Je profite de ne pas conduire pour m’imprégner des paysages. Finalement, le Tennessee et sa végétation sont assez proches de paysages que nous pouvons trouver en France. Les arbres sont fleuris, le printemps est un peu plus avancé qu’en région Parisienne, mais cette année, nous avons vraiment eu un temps exécrable tout l’hiver. C’est moins dépaysant mais ça a un côté assez réconfortant. Je me sens presque comme à la maison. Nous rejoignons le camp après être passés par le site impressionnant  de la nouvelle prison. Le camp est encore vide pour le moment. Benoit après quelques manœuvres gare le camping-car sur notre emplacement, un des plus grands. Nous prenons nos quartiers, pour ma part ce sera au-dessus de poste de pilotage. Nous en profitons pour ranger nos affaires. Pour le lendemain la météo est prévue fraiche, de la neige devrait tomber. Après un bon repas à base de pâtes, nous nous couchons.

 

Le lendemain, la neige est tombée et le sol est blanc. Nous prenons un petit déjeuner copieux à base de café de pain et de beurre de cacahuètes. Puis, nous décollons en fin de matinée pour aller reconnaître la partie sud et plus précisément aller jusqu’à la Tower. Nous partons à quatre, Benoit, Cyrille et André Hall qui juste avant que nous partions c’est joint à nous. Nous prenons la direction de la maison du Parc ensuivant le parcours de la Barkley, soit en mouillant les pieds. Nous continuons en direction de Chimney Top. Au début de la montée, je profite de la bonne connexion pour contacter mes proches. A mesure que nous montons la neige et le vent se font plus forts. Sur la crête sommitale, nous sommes en pleine tempête. Après une brève pause photo nous repartons en direction de Mart Fields Campsite. Sur cette longue traversée, nous discutons pas mal. Le terrain joue aux montagnes russes. C’est vraiment très joli sous la neige. Parfois, nous nous enfonçons jusqu’aux milieux des tibias. Il faut dire que le vent à forme quelques congères. Globalement le sentier de Chimney Top Trail est facile à suivre, du moins de jour.

Nous rejoignons un premier camp puis un second, le bon. Benoit nous fait deviner le site du livre 11 de l’année dernière. Nous continuons vers la tour que nous n’apercevons toujours pas. Par endroit, le vent a formé de véritables  congères où nous pouvons nous enfoncer quasiment jusqu’au genou. J’ai les pieds un peu gelé mais tout va bien, nous progressons calmement. Je doute que le terrain soit totalement déneigé dans trois jours. Nous rejoignons un nouveau chemin en direction de la Tower. Il fait froid et je suis content d’avoir enfilé au dernier moment un collant. Nous rejoignons assez rapidement la montée mythique de Rat Jaws. Découvrir ce lieu sous la neige est assez étrange. D’ici la montée n’a pas l’air aussi raide que ce que je m’imaginais. Seul le final est particulièrement pentu. Je découvrirai le lendemain qu’il y a des sections bien plus raides et que cette montée est digne de sa réputation ! Cyrille filme le spectacle et je prends quelques photos avant de rejoindre Benoit et André qui sont déjà partis en direction de la Tower au sommet de Frozen Head. Nous grimpons les échelles métalliques et arrivons au sommet, le point le plus haut de FHSP. Nous profitons de la vue sur Rat Jaws et faisons quelques photos souvenir, mais on se les pelles grave comme dirait mes filles. Nous ne trainons pas et redescendons. Après un petit plantage au niveau d’un grand carrefour, nous prenons l’Old South Mac Trail pour rentrer au camp. Je profite de bien capter dans la descente pour appeler la famille. Au final, une bien belle sortie en bonne compagnie de 19km et environ 1300m de dénivelée et négative en 3H40. Après un bon déjeuner, nous profitons de l’après-midi pour nous détendre. Le Camp commence à s’animer. La journée se termine calmement.

 

Nous nous levons sous un grand soleil. La neige qui était apparue la veille disparaît rapidement. Aujourd'hui, le programme est plus léger. Il s'agit de rouler dans l'après-midi pour voir la partie sud: New River, Rat Jaw, la prison ... Dans la matinée, je décide de préparer mes sacs de nourriture pour la course. Alors que je prépare 5 sacs, Benoit me chambre. Je compose 2 fois 5 sacs: un sac par tour et un pour chaque ravitaillement entre les tours, pour être sûr de ne rien oublier. Une fois terminé, je fais un petit tour du camp qui commence à prendre vie. Je rencontre Johan Steene que je n'avais pas vu depuis la Transpyrenea. C'est un plaisir de discuter avec lui. Nous prenons quelques photos ensemble. Je rencontre également Stephanie Case et son camarade de course Gabriel Szerda, Kaz Wiliams et d'autres coureurs. L'atmosphère est sympathique mais la tension est perceptible.

Dans l’après-midi, comme prévu, nous allons faire une balade touristique. Tout d’abord, nous rejoignons New River pour bien visualiser la topographie de cette zone de transition. En regardant en direction de Fike’s peak, je suis impressionné par la densité de la végétation. Je me demande comment je vais bien pouvoir m’orienter dans un tel merdier. Nous reprenons la route vers un petit col pour aller voir Rat Jaws. Nous empruntons un large chemin. Nous croisons en route un groupe de prisonniers. Ils portent le même bonnet orange fluo que John Kelly a trouvé sur son dernier tour lors de sa victoire en 2017. Cela explique sans doute cette découverte ! Ils n’ont pas l’air d’enfants de cœur, mais ils répondent à nos salutations. Nous rejoignons un peu plus loin la partie intermédiaire de Rat Jaws. Et bien, contrairement à la veille, là, je suis calmé, quelle pente ! Et pour ce qui est des ronces, il y en a un paquet. Je ne suis pas déçu de découvrir le monstre sacré de la Barkley sous cet angle. Nous retournons à la voiture en direction de la prison. Nous nous rapprochons jusqu’au tunnel, histoire de faire quelques photos souvenirs. Un ranger viens nous voir et nous indique de ne pas aller plus loin. Il reconnait Benoit, après avoir échangé quelques mots, nous faisons demi-tour puis rentrons au camp.

Le soir, nous rejoignons Lazarus ainsi que certains membres de l’organisation et proches à Wartburg. Où nous mangeons dans un restaurant typique : un Tex Mex. Je n’ai pas ma carte d’identité heureusement Cyrille est là pour me permettre de boire une bonne bière fraîche. Après un repas sympa et copieux, nous rentrons au Camp. Avec Benoit nous préparons nos cartes pour le lendemain afin de n’avoir à y reporter que les modifications. Nous allons nous coucher tôt pour un somme bien mérité.

 

Dernier jour avant la course. Au moins j’ai fait une bonne nuit. Après le petit déjeuner, Benoit a les jambes qui le titillent. Du coup, nous voilà parti pour un aller-retour vers Pillar of death. Il y a encore un peu de neige en haut, mais rien de grave pour la course. Au final, une petite sortie de 8km 570m de dénivelée en 1H05.

Après une bonne douche, nous voici parti pour Wartburg pour faire le plein de gasoil et de gaz. Nous galérons un peu pour le gaz. Un monsieur à bord d’un gros 4x4 s’arrête et se propose de nous aider. Les gens sont plutôt sympas ici. Il faut bien se résoudre, il n’y a pas moyen de recharger le gaz ici.

Nous rentrons au camp, et celui-ci s’est clairement animé, désormais il est plein. Notre emplacement est littéralement squatté, notamment par la french team : Guillaume Calmettes et son Team (Thomas, Pauline) David Limousin et son amie, l’équipe Catalane et une vétérane américaine. Nous déjeunons car le temps d’aller chercher le dossard approche.

Vers 15H, nous rejoignons la tente et les célèbres plaques d’immatriculation. Lazarus s’affaire tranquillement sans se soucier de nous pour le moment. Je rencontre Jodi avec qui j’ai échangé par mail avant course et qui m’a donné des informations tant d’entrainement que pour la course. Je discute avec d’autres coureurs ou des assistants, l’ambiance est chaleureuse. Le fameux poulet est en train de rôtir avec toute l’attention de Rich Limacher. Ed Furtaw, dont j’ai dévoré le livre est là. Je n’ose l’approcher, il faut dire qu’il est particulièrement sollicité. Avec Benoit, nous finissons par nous asseoir sur la table c’est plus confortable. Nous pouvons y admirer le trophée de la Barkley avec tous les noms des finishers. 15H30, ça y est Lazarus décide de lancer la cérémonie de remise des dossards. Il s’installe derrière sa table de camping pour accueillir chacun des participants. Nous rejoignons la file d’attente. Stéphanie passe puis Benoit et c’est mon tour. C’est un moment un peu solennel pour moi, et je suis impressionné et ému de me retrouver face à Lazarus ici à la Barkley, presque spectateur. Il prend vraiment soin d’accueillir chaque concurrent et détend tout de suite l’atmosphère de son sourire radieux et de mots sympathiques.  Je lui tends mes offrandes la plaque et des saucissons bien de chez nous. Il me donne mon dossard ce sera le 33, le roadbook, ainsi que le nouveau matériel obligatoire. Un bâton d’alerte, qui permet via un bouton rouge de contacter les secours. Il me précise de faire attention car cela ne marche qu’une fois. Malheureusement, j’ai la mauvaise idée de l’utiliser tout de suite et me rends compte de la supercherie. Ce qui ne manque pas de déclencher chez mon hôte un sourire taquin. Je ne résiste pas à la supercherie et décoche un large sourire. Intérieurement je suis mort de rire. Il me souhaite bonne chance. Je le remercie avant de laisser la place. Avec Benoit, nous parcourons rapidement le roadbook pour identifier les modifications par rapport à la dernière édition. Il y en a principalement deux. Nous attendrons encore jusqu’à 17H au moins avant que Lazarus ne décide de nous donner  la « master » carte afin de reporter le parcours. Pour les virgin qui découvrent et le roadbook et la carte, cela ne doit pas être facile d’intégrer toute cette masse d’information, qui plus est pour les non anglophones. Nous vérifions que nous avons bien intégré les modifications et la position des livres. Ce qui nous prend tout au plus cinq minutes.

Nous retournons ensuite au camping-car. Nous finissons nos préparatifs : sacs, check list pour l’entre tour, tenue pour le départ… Au niveau météo rien n’est clair. Ils prévoient de la pluie, mais pas sûr, plutôt pour le dimanche. Au niveau de la température, c’est pareil normalement, il ne devrait pas trop faire froid le samedi… Je décide de prendre une configuration légère, j’ajusterai au second tour le cas échéant. Une fois prêts, nous nous attablons pour un dernier repas copieux. Nous nous couchons tôt vers 9H30. Malheureusement, ce que je redoutais arrive, impossible de m’endormir. Les minutes passent, puis les heures passent. Finalement, je m’endors vers 1h du matin et dors par bribes. C’est quand même dingue ! J’ai un peu de chance car nous sommes réveillés à 8H33 par la conche. Ce qui me permet de sauver les meubles et de cumuler environ 4H-5H de sommeil. Ce ne sera pas du luxe. Après m’être mis en tenue, j’essaie de prendre un petit déjeuner conséquent à base de café, beurre de cacahuètes et de bananes. Ca y est, il nous faut nous diriger vers la barrière jaune. Je fais un dernier check au sac et nous rejoignons nos camarades.    
 

[La course]        

Et voilà, nous y sommes, environ 10 ans que je rêve de ce moment. Je suis à la fois concentré et excité. C’est étrange, à cet instant, j’ai davantage l’impression d’être spectateur qu’acteur. Comme si je n’y croyais pas moi-même.  Malgré tout, j’essaie au maximum de m’imprégner  et de profiter du moment présent. Déjà, Lazarus achève de nous prodiguer ses dernières consignes. La sonnerie au mort Américaine, le fameux tap retentit. Dans la solennité du moment, des frissons me traversent le corps. Ca y est, j’y suis vraiment. Un rêve se réalise et je suis simplement heureux d’être là, à quelques secondes du départ derrière cette mystérieuse barrière jaune. 

[Tour 1 – Comme dans rêve]

Lazarus allume sa cigarette et la meute se lance. Je n’avais pas anticipé mais la barrière ne se lève pas, il faut la contourner. Je perds quelques secondes pour m’intégrer dans le flot. Une fois la barrière passée, je relance pour rejoindre la tête du groupe où se situe Benoit. Avec Benoit, nous avons convenu d’essayer d’aller le plus loin possible ensemble. Mon souci, c’est qu’il est bien plus rapide que moi, alors ça va être un peu chaud de le suivre au début. Nous quittons la route pour le sentier et ses quatorze lacets qui mènent à Bird Mountain. Benoit se positionne en tête en compagnie de Rémy et de deux autres coureurs. Alors que nous avions convenu de partir cool, il se met à courir. Là je me dis que c’est un peu mort pour rester ensemble dans la mesure où je n’avais pas prévu de courir dans cette première montée. Finalement avec Cyrille, nous restons à distance et formons un groupe intermédiaire. Derrière nous Jamil mène le train du groupe des favoris dont Guillaume, Gary, Jodi, Johan, Amélia en mode marche commando. Je relance en mode course sur les sections les moins pentues pour ne pas trop lâcher Benoit. Zut, un truc me gêne dans le dos, je décide de m’arrêter ; Cyrille me passe. Je remodèle un peu mon sac à dos puis repart toujours devant le groupe des leaders. A base de relance et de train soutenu je rejoins assez rapidement Cyrille. Au moment où la jonction s’opère, je me rends compte que je n’ai plus ma boussole à la main. Putain de merde, je l’ai paumée lors de mon arrêt. La raison voudrait que je revienne sur mes pas pour la retrouver. Un peu d’égo mal placé et la conviction que la boussole de secours que j’ai dans le sac suffira me convainquent de ne pas faire demi-tour. Je repasse devant Cyrille et décide de revenir au train vers le groupe de tête. Finalement, cette montée se fait plus plutôt bien en mode alterné course marche soutenue. Au sommet, ou plutôt au col, nous avons une cinquantaine de mètres de retard. Nous bifurquons en direction des Pilars of Death. Au train avec Cyrille nous revenons et avant de nous orienter en direction du livre un nous reformons un groupe de 6 en tête dont 4 français. Cela sent un peu le pétard mouillé et le retour de bâton, mais je fais abstraction de cela, et je prends plaisir à gambader dans ce groupe de tête. Nous entamons une portion en descente cool et rejoignons une sapinière Frangorn’s Forest. Benoit qui connait le coin par cœur, nous oriente sur la gauche pour aller directement au premier livre. Nous rejoignons le petit replat et Benoit trouve rapidement le livre 1.

Il prend sa page, déjà le groupe des leaders nous rejoint. J’arrache ma page et emboîte le pas de Benoit qui se dirige sur l’autre versant à la limite du replat. Là je découvre enfin à quelle sauce nous allons être mangés. Après un passage scabreux dans les arbustes à enjamber les troncs, j’aperçois le premier défi : une pente verticale Jaque Mate Hill. Je m’interroge. C’est là qu’on doit passer ? Rapidement, je débranche le cerveau et m’engage dans la pente. Impossible de courir c’est trop pentu, je m’accroche à ce que je peux. Le groupe de tête qui a trouvé un chemin plus direct nous rejoint puis nous dépasse et s’éloigne. J’avance à deux à l’heure sur cette section pentue qui n’en finit pas. Le palpitant est au taquet, c’est étonnant nous descendons. Finalement, plus bas la pente est moins raide et je reprends enfin un rythme course. J’essaie de suivre le rythme de Benoit. Nous rejoignons le fond du vallon. Le groupe de tête est déjà en train de monter vers Jury Ridge. Il se compose d’environ huit coureurs dont  Gary, Guillaume, Jamil, Alexander, Jodi  qui mène le train et possède une avance d’environ 2-3 minutes sur nous. Je me retourne mais ne voit pas Cyrille qui apparemment n’a pas réussi à nous suivre. A mesure que l’on monte, je reconnais derrière nous Johan mais toujours pas Cyrille. Dans cette montée, je récupère un peu de mes émotions de la première descente et déjà je m’alimente. Un coureur décide de nous doubler. En nous passant, il est à la limite de nous chambrer. Il court dans cette montée. Aurait-il des tendances suicidaires ? J’indique à Benoit qu’il y a de grand de chances qu’on le retrouve dans les prochains kilomètres. Nous rejoignons rapidement le point haut. Et là, quelle surprise John Kelly le 15ème finisher de la Barkley est là en personne ! Nous le saluons. Il ne répond pas et semble nous photographier. Il doit être en mission de contrôle pour vérifier que tout le monde passe bien par le col. Là, nous abordons la deuxième descente. Après, un petit passage sympathique au milieu des ronces et des Lauriers, nous entamons Hiram’s Vertical Smile. La pente est raide au début, puis devient encore plus raide. Tout le monde descend comme il peut, et clairement rares sont ceux qui le font avec style. Je m’accroche à tout ce que je trouve : troncs, branches… Parfois, les troncs cèdent ; et il faut éviter de se prendre les plus gros sur la tête. Nous descendons prudemment quelques coureurs nous dépassent. Sur le final le terrain s’aplanit, mais il faut encore éviter les arbustes tels des skieurs qui slaloment et enjamber les quelques troncs qui jonchent le sol. Nous avons bien navigué car nous atterrissons pile au livre 2 au titre de « 6 seconds ». Les amateurs de facéties apprécieront !

Au même moment, le groupe de tête repart et s’engage sur la crête au doux nom d’Hillpocalypse. Crête que nous devons poursuivre jusqu’à son sommet. Benoit me tend ma page, à peine le temps de la ranger, nous repartons. La montée qui suit est intéressante, elle est raide et régulière, comme je les aime et un peu plus dégagée au niveau du sol. Je reste dans les traces de Benoit. Ici, le chemin à suivre est relativement simple ; j’en profite pour m’alimenter. Ce qui m’étonne en ce début de course c’est qu’il est plus difficile de s’alimenter dans les descentes. En effet, je passe mon temps à m’accrocher à tout ce que je peux et à amortir les chutes. Du coup, la montée apparaît plus propice à cela. J’ai le sentiment que nous avons baissé de rythme, car je me sens à l’aise dans cette montée. Ce qui me rassure, car j’ai trouvé le rythme des deux premières heures un peu soutenu.  Avec Benoit, nous discutons et déjà, alors que nous montons régulièrement, sans forcer, nous observons les premières défaillances. Nous dépassons lentement mais surement Josep, puis le coureur qui s’amusait à courir dans la montée précédente. Nous rejoignons ensuite une zone de falaise. La plupart des coureurs passent légèrement à gauche d’où nous débouchons, mais ça à l’air un peu scabreux. Benoit m’indique qu’il est préférable de passer à droite. Je lui emboîte le pas et nous contournons la falaise par un replat. Nous trouvons effectivement un passage relativement facile et franchissons la barre rocheuse. Un peu plus haut, nous rejoignons nos camarades Josep, puis Jodi qui étonnamment n’a pas l’air au mieux sur le final de cette montée. La montée se termine, enfin je me comprends, la partie raide. Nous cheminons en direction du livre 3 sur le North Boudary Trail (NBT). Nous apercevons quelques minutes devant le groupe de tête. Plus haut, nous quittons le sentier pour gravir une pente sensée nous conduire au livre. Arrivés au sommet, Benoit sans sourciller retourne une pierre et j’ai du mal à le croire mais le bouquin est en dessous. Benoit me tend la page 33 et nous repartons.

Dans le début de cette descente, j’aperçois en contrebas le groupe de tête qui semble se limiter désormais à six coureurs dont Gary, Guillaume, Jamil et Alexander (Ally). La course s’est décantée au bénéfice de la dernière longue montée. Nous rejoignons le  NBT qui chemine dans cette forêt sans fin. Il n’y a pas de clairière comme dans nos forêts, même sur les hauteurs. Nous passons sous Son Of a Bich Ditch. J’imagine pour avoir vu des photos sur le site de Matt Mahoney qu’avant le chemin passait plus haut et qu’il fallait franchir cette crevasse. Nous rejoignons la cascade des castors (dénomination de Benoit), puis la zone des mares des mines de charbon. Un coureur nous rejoint. Dans la section qui suit et qui monte en lacet vers Garden Spot, nous le distançons. Au-dessus, le groupe de tête est toujours en vue. Je m’alimente et m’hydrate de nouveau. Je me force désormais à boire car j’ai bu à peine un litre en presque 3 heures de course. Alors que nous approchons du sommet, j’aperçois en contrebas quelques coureurs isolés dont Johan puis un peu plus loin un groupe de chasse. Sur le haut, nous croisons les coureurs du groupe de tête qui repartent en direction de Stallion Mountain. Nous allons chercher nos pages du livre 4.

Benoit me tend la page et m’indique que mon système pour ranger les pages n’est pas terrible. En effet, il m’oblige à enlever le sac et me fait perdre du temps. Benoit est toujours d’excellent conseil. Il faudra que je change de système à l’avenir. Nous quittons Garden Spot pour nous diriger vers la zone de ravitaillement que nous atteignons en 2H50. Quand je dis zone de ravitaillement, attention on ne s’emballe pas, nous sommes sur la Barkley. Le ravitaillement se limite à des bidons d’eau. Je fais le plein mais galère un peu. J’aimerai me crémer les pieds, mais Benoit me fait comprendre qu’il ne faut pas trop trainer ici. J’enlève juste rapidement les saletés qui trainent dans les chaussures. Nous repartons et croisons Johan et un autre coureur. S’en suit, une fois n’est pas coutume, une section plate. Oui, vous ne rêvez pas une section « courable » sur la Barkley. Nous nous en donnons à cœur joie avec Benoit. En plus, grand luxe, nous pouvons courir côte à côte ! Nous sommes plutôt satisfaits de ce début de course et devisons des prochaines heures. Toutes les bonnes choses ont une fin. Nous apercevons John que nous saluons et qui apparemment nous prend en photo, vraisemblablement pour un nouveau contrôle.  Assez rapidement, le terrain redevient plus technique. Nous suivons un vallon où coule un torrent, très joli par ailleurs. Plus bas, nous rejoignons un chemin que nous empruntons sur quelques hectomètres jusqu’à Bobcat Rock. Au sol se trouvent les sacs de nos prédécesseurs ; signe que nous allons devoir descendre vers le livre 5.

Benoit continue un peu sur le chemin avant de bifurquer droit dans la pente. Quand je dis droit dans la pente ça n’est pas au figuré. Il faut littéralement s’accrocher à tout ce qui se présente pour éviter de glisser ou de chuter. Nous progressons au ralenti sur cette section au joli nom de Leonard’s Buttslide Trail. Je me demande comment, plus loin dans la course, je ferai pour trouver mon chemin dans ce coin, qui plus est de nuit. Benoit est sûr de lui, alors je ne tergiverse pas et j’essaie de le suivre comme je peux, en rampant en glissant sur les fesses, bref sans aucun style...  Nous finissons par trouver une pente plus raisonnable où nous progressons côte à côte en direction du livre. Nous apercevons nos camarades de tête de course et convergeons vers le livre quasiment au même moment. Ils repartent un peu avant nous. Je suis mort de rire quand je constate sur site la différence entre le lieu et la description qui en est faite dans le road book par Lazarus. Je m’attendais à trouver une bâtisse en ruine et finalement nous avons droit à quelques tas de pierres. Heureusement, que nous n’avons pas eu à le trouver dans la nuit celui-là ! Nous faisons demi-tour vers Bobcat Rock. La montée est aussi scabreuse que la descente et nous remercions tous Lazarus pour cette nouvelle section qui ajoute environ 120 m de dénivelée par tour au parcours 2018, une paille. Quand nous atteignons Bobcat Rock, nous retrouvons le groupe de tête qui vient de repartir vers Fyke’s Peak. Deux coureurs trainent un peu la pâte et nous les dépassons juste avant d’arriver à Hiram’s Pool and Spa et son canapé caractéristique. Les leaders Gary, Guillaume, Ally et Jamil restent à distance. Un peu plus haut, nous arrivons enfin au bouquin 6.

Là, franchement, les environs me laissent perplexes et notamment concernant ma capacité à retrouver le livre en sens inverse. Tout se ressemble, de chemin, il ne reste que les vestiges des temps anciens. La végétation a repris ses droits et cela fait bien une vingtaine d’année qu’un 4x4 n’est pas passé ici. Nous continuons à flanc avant d’aborder la descente vers New  River. Au début, la pente est douce, puis elle s’intensifie. Rapidement, nous nous retrouvons en haut d’une barre rocheuse. Les deux coureurs que nous avions dépassés décident de passer par la gauche. Je suis Benoit qui chemine vers la droite. Après un petit passage en désescalade, nous passons le ressaut et rejoignons la crête. Nos camarades sont allés un peu plus vite, nous les retrouvons plus bas. La lecture de la descente n’est pas évidente, tout de ressemble et la crête principale se divise en sous crêtes. Plus bas, Benoit décide de s’engager dans un vallon qui lui rappelle quelque chose. Je ripe et tombe sur les fesses. Je suis traversé d’une douleur aigüe et jongle car le haut de ma fesse gauche s’est écrasée sur un gros caillou. Cela fait super mal, mais je continue à suivre Benoit. J’espère seulement que je ne me suis rien cassé. Après quelques autres glissades, nous finissons par rejoindre New River que nous traversons sans difficulté mais en mouillant les pieds jusqu'aux tibias. Un dernier petit coup de cul et nous rejoignons la route. Ca fait environ quatre heures que nous sommes partis. A ce stade tous les voyants sont au vert. Adam, le collègue de chez Raidlight US de Benoit, est là à nous attendre et nous filme. Il y a aussi l’équipe de soutien de Guillaume notamment Pauline et Thomas (un très grand champion de trail), qui nous encouragent. Cela fait plaisir de voir un peu de monde. Nous traversons la route et prenons le petit sentier qui chemine au-dessus d’un ruisseau en direction d’une petite cascade. Je suis vigilant sur cette section car ça plonge un peu sur la droite et le sentier est en dévers. Après avoir franchi le ruisseau, nous sommes aux aguets car le livre 7 n’est pas loin. Nous le trouvons, sans trop de difficulté, dans le trou d’un arbre.

Nous repartons en direction de la prochaine difficulté, Testicule Spectacle, une trouée dans la forêt dont la pente s’accentue à mesure que l’on approche du point haut. Au début, nous jardinons entre la végétation et les ronces sur une petite sente qui serpente dans la pente. Le sol est gorgé d’eau cette partie est particulièrement glissante et les appuis pas terrible, bref franchement pas fun. Nous finissons par arriver sur une zone moins pentue où un chemin se dessine. Devant nous apercevons la tête de course les 3 leaders et Jamil un peu en retrait. Je prends pour la première fois la tête de notre duo. Bizarrement, J’ai envie de limiter l’écart et de monter le final à bon rythme mais sans trop forcer. Benoit est juste derrière et me suis sans difficulté. Sur le final, dans le plus dur de la pente, je suis carrément obligé de planter les doigts dans la terre, comme des piolets, pour éviter de reculer. Des journalistes, nous filment et nous photographient, nous les saluons à notre passage. Le spectacle de cette trouée dans la forêt est saisissant du haut. Après le gros raidard, heureusement la pente est moins sévère et nous achevons l’ascension côté à côte. Un petit passage de portail et nous bifurquons sur un chemin de crête. Quelques centaines de mètres plus loin, nous bifurquons sur la gauche pour suivre une crête du moins en théorie. De suivre une crête, il n’en est pas vraiment question car Benoit s’engouffre rapidement dans un vallon. J’ai l’impression que nous perdons du temps car nous progressons dans une zone jonchée de ronces. Alors que plus haut sur la crête ça à l’air plus dégagé. Je perds beaucoup de temps à me libérer des ronces. Ces dernières s’enchevêtrent sans cesses dans mes jambes et finissent par me donner des débuts de crampes notamment aux ischios quand j’essaie de m’en dégager. Je n’ai pas l’impression que ce soit la meilleure option car la crête que nous devrions suivre théoriquement me semble plus dégagée, un point à vérifier au prochain tour. Finalement, à force d’énergie et d’alimentation, nous rejoignons le bas de cette section à proximité de Raw Dog Falls. Nous suivons le chemin qui longe le torrent jusqu’au pied de Danger Dave’s Climbing Wall où nous apercevons le groupe de tête se démener. Franchement, vu du bas cela ne donne vraiment pas envie. Heureusement, Benoit connait la parade, Pussy Ridge Longcut. C’est plus long, mais c’est moins raide et ça nous va bien. Arrivé au sommet, nous plongeons dans un petit vallon et rejoignons le groupe de tête au niveau du livre 8 qui se trouve cette année dans le creux d’un gros pneu. La difficulté consiste ici à trouver le bon pneu. C’est une vraie décharge. Guillaume a toujours un petit mot sympa pour nous encourager comme à chaque fois que nous les rejoignons. Pas sûr que cela fasse marrer Gary de voir nos trombines se radiner régulièrement, alors que nous progressons moins vite.

De là, pour rejoindre la route nous empruntons un joli raidard au milieu des déchets. Un vrai bonheur cette montée. Nous rejoignons la route un peu en contrebas de Pig’s Head Creek, peut-être une référence à la décharge qui nous entoure. La tête de cochon ou du moins, ce qu’il en reste, un crane est là pour nous indiquer le chemin. Les leaders, Gary, Guillaume et Ally reprennent la tête. Jamil a l’air d’être un peu dans le dur sur cette partie et nous le distançons légèrement au train. Je suis vraiment étonné qu’au bout d’un peu plus de 5H de course nous soyons toujours dans le peloton de tête. Je n’ai pas eu pour le moment l’impression de trop forcer.  Nous rejoignons un chemin qui nous mène vers Rat Jaw. Sur la section plane les leaders relancent et nous distancent. Nous ne cherchons pas à les rattraper, à tort ? Nous restons à notre rythme. Ca y est nous attaquons le monstre en son sein. Les premiers hectomètres sont particulièrement verticaux et glissants. Nous grimpons comme nous pouvons. Parfois, je me hisse avec le câble métallique qui gis au sol et dont je me saisis, parfois je rampe en m’aidant de mes mains et de mes doigts plantés dans la terre pour progresser. Le souci, c’est que les ronces qui jonchent le sol m’explosent les doigts et font particulièrement mal. La pente se calme pendant quelques hectomètres, puis de nouveau un raidard. Je reste derrière Benoit et me cale sur son rythme. Nous franchissons plus loin une brèche entre les rochers via petit passage; puis la pente se calme de nouveau. Nous n’apercevons pas le sommet qui est dans le brouillard, mais déjà nous entendons les cris des supporters qui sont venus jusqu’à la tour. Alors que nous entamons la dernière partie, plus pentue, Gary descend suivi de très près de Guillaume et Ally. Ils nous ont pris environ 5 minutes rien que dans cette demi-montée. Clairement, ils ont accéléré le rythme. Nous nous hissons sur les derniers mètres particulièrement pentus, sous les vivas de quelques spectateurs et les « good job ». Cela donne chaud au cœur. Nous rejoignons la Tower. Je fais le plein d’eau, me crème rapidement les pieds et prends ma page du livre 9. Enfin, je ne sais plus vraiment dans quel ordre.

Nous reprenons le même chemin mais en descente sous les cris des supporters. C’est un peu surréaliste ce passage, après avoir été seuls dans la forêt pendant des heures, on a l’impression de retrouver la civilisation et son tumulte. Nous descendons cette première section en courant. Nous croisons un peu après la brèche, Jodi, Amélie et John qui montent. Jusqu’au niveau intermédiaire, nous ne croisons plus personne. Les écarts commencent à se faire. Nous plongeons en direction de la prison entre course, marche acrobatique, chute sur les fesses. Franchement, s’il y a quelque chose qui commence à m’user, c’est de tomber sur les fesses. J’ai des bleus partout et ma chute sur un caillou avant River est toujours très douloureuse. Nous rejoignons la prison et pour la première fois, j’emprunte le tunnel en course. Je trouve cette partie plutôt amusante et ne cherche même pas à préserver mes pieds de l’humidité. Nous sortons du tunnel par la voie facile avec Benoit. Nous nous dirigeons vers le livre 10 mais en lieu et place du livre, nous trouvons un plastique vide. Nous nous interrogeons, puis décidons de nous prendre en photo avec l’appareil de Benoit pour justifier de notre passage. Finalement, un peu plus loin, je finis par trouver le livre dans un plastique. Nous empochons nos pages. Je me galère un peu à mettre la mienne dans mon sac, tant et si bien que Benoit me distance un peu. Je le rejoins au train ; il m’indique qu’il faut vraiment que je change mon système pour les pages car je perds un temps précieux. Je ne peux pas lui donner tort, je passe au moins une minute à ranger chaque page. A raison de treize pages par tour et de cinq tours pour la Barkley, cela fait un sacré temps de perdu. En tout cas, un point à améliorer pour une prochaine participation ou pour la Chartreuse Terminorum 2018. Nous progressons en direction d’un réservoir puis d’une crête, Razor Ridge, sensée nous amener au livre 11. Dès le début de la montée de The Bad Thing, je décide de m’alimenter pour éviter les crampes à base de Snickers et de lait concentré sucré. La pente est raide, je me cale de nouveau au rythme de Benoit. Cette montée est longue, mais à deux, le temps passe relativement vite. Dans les montées, où il faut moins être concentré, nous en profitons pour discuter. L’humeur de la troupe est plutôt positive. Nous n’avons, jusqu’ici, pas fait d’erreur de navigation. Enfin, quand je dis « nous », je parle surtout de Benoit. Nous rejoignons les capstones, rochers sommitaux en grès. Malheureusement, nous entamons notre premier jardinage pour trouver Needle’s Eye et le livre 11. Nous contournons à plusieurs reprises les capstones et au bout d’une bonne dizaine de minutes finissons par trouver le fameux passage et le livre. Dommage, nous n’étions pas débouché très loin mais Needle’s Eye n’est pas très visible, il faut s’engager dans les blocs pour apercevoir le passage.

Allez, c’est parti pour Zipline en mode descente. Le début est peu pentu mais le sol est assez irrégulier et il faut rester concentré visuellement sur les appuis, du coup difficile de profiter du paysage. Nous prenons une variante directissime, dont Benoit a le secret. Rien de ce que je vois ne correspond à ce que je m’imaginais de l’endroit. Je pensais rapidement croiser deux sentiers que nous ne croiserons jamais. Puis, nous descendons entre deux torrents sur une espèce de promontoire. C’est bien pentu et pour éviter les barres qui donnent sur l’un des torrents, nous rejoignons le torrent opposé que nous traversons en contrebas. Un peu plus loin, alors que nous rejoignons un sentier, j’entends Benoit m’indiquer que nous sommes sur la Jeep Road. Je lui réponds que ça ne doit pas être là, parce que ça ressemble à tout, sauf à une piste de Jeep ou de 4x4. Benoit me confirme qu’il est certain que la Old Jeep Road, c’est le petit sentier sur lequel nous nous trouvons. Comment imaginer que cette sente sommaire sur laquelle nous progressons,  qui serpente dans la végétation et qui est traversée par de nombreux troncs effondrés, corresponde à ce qui est décrit comme une piste de Jeep ? Il est impossible qu’une Jeep soit passée à cet endroit dans les 33 dernières années. En plus, il est précisé de faire attention à ne pas passer de l’autre côté du ruisseau que nous longeons car c’est beaucoup plus facile donc interdit. Encore une facétie du maître car rien ne donne envie d’aller s’égarer de l’autre côté du ruisseau où la progression à l’air bien plus compliquée. Quand je réalise la supercherie, je suis mort de rire. Lazarus a un sacré sens de l’humour ! Sans Benoit, j’aurai cherché pendant longtemps cette satanée piste de jeep. Nous rejoignons la zone où se site le livre 12 que nous trouvons assez facilement, bien caché dans le creux d’un hêtre sous des feuilles. Merci les copains qui nous précèdent d’avoir pris soin de bien recacher le livre !

Là Benoit, intelligemment, me propose d’essayer de retenir des éléments caractéristiques pour que, lors du prochain tour dans la nuit, nous retrouvions plus facilement l’endroit. Nous retenons entre autre une succession d’une dizaine de gros troncs qui jonchent le sol et forment une ligne quasi continue. Cela pourrait servir. Nous entamons alors réellement la montée de Big Hell. De ce que j’avais lu dans les différents comptes rendus, en montée, il semblait que cela ne pose que peu de difficulté d’orientation. Pourtant le terrain est particulièrement boisé et honnêtement, je suis Benoit aveuglément car il n’y a pas vraiment de ligne de crête comme dans la montée précédente. Je me force à manger un tube de caramel beurre salé pour éviter d’être sec. J’ai tendance à ne pas manger quand j’approche d’un ravitaillement. Il nous reste environ 2H pour rejoindre le camp, nous n’y sommes pas. Je reste de nouveau bien callé au rythme de Benoit. Je trouve cette partie assez paumatoire car il n’y a aucun repères. Finalement, nous débouchons aux capstones. Nous cherchons le livre 13 mais pas moyen de le trouver. Nous continuons à monter mais cela nous paraît étonnant car normalement le livre est au début des capstones. Nous jardinons pendant 5 minutes quand quasi certain d’être allé trop haut, nous nous décidons à faire demi-tour. A ce moment, nous croisons Jamil qui sympathiquement nous confirme que le livre est bien en contrebas. Après 5 nouvelles minutes de jardinage, je trouve enfin le livre 13.

A ce moment précis, je suis heureux. Nous sommes en course depuis près de 8H, et je réalise que je vais réussir au moins à faire un tour de la Barkley et à ne pas rentrer bredouille à la maison, ce qui était ma plus grosse crainte. Nous faisons demi-tour en direction du dernier point haut que nous rejoignons rapidement. Nous bifurquons à gauche pour emprunter un Candy Ass Trail autrement dit un sentier classique balisé. La première partie est pentue et un peu glissante. Benoit descend prudemment ce qui me va bien. Plus loin, le sentier est en dévers pendant plusieurs hectomètres. Il faut faire attention aux appuis et éviter de se faire une entorse, alors je reste super concentré sur me pieds. Plus bas le sentier redevient plus classique. Après un dernier coup de cul, nous descendons vers la maison du park et des rangers. Malgré la proximité du camp, je continue à m’alimenter et à m’hydrater. Après un lacet, nous apercevons un groupe de biches. Elles sont jolies avec leur petits fessiers aux poils blancs, plus grandes que chez nous en Europe. Nous apercevons le panneau « closed » qui, nous sommes sur la Barkley, indique qu’il faut passer par là. Au moment où nous approchons du bas, nous croisons Gary qui repart sur la 2ème boucle. Quelques mètres plus loin, nous croisons Guillaume et Allie. Guillaume nous demande si Gary est loin, nous lui indiquons qu’il est à au plus deux minutes devant. Nous sommes un peu étonnés de voir que le groupe de tête s’est disloqué. Il aurait peut-être été plus stratégique pour Gary de rester groupé. Nous traversons la rivière en essayant de préserver nos pieds de l’humidité, rejoignons le parking puis le sentier qui longe la rivière et nous mène à la route. Nous traversons le pont de bois et l’émotion m’envahit, je l’intériorise, mais je suis très content de réaliser ce premier tour. Nous sommes filmés par des journalistes, nous revenons à la civilisation. Nous trottinons sur la portion goudronnée qui nous mène à la barrière jaune. Lazarus est là à nous attendre. Nous sommes partis depuis 9H07’, Benoit donne ses pages. Lazarus m’indique de toucher la barrière, je m’exécute. Puis il compte mes pages. Je suis une peu tendu, mais finalement il en compte bien 13. Ça s’est fait ! Lazarus me demande comment j’ai trouvé ce premier tour. Je lui réponds que cela correspond tout à fait à mes attentes en termes de difficulté. Nous repartons en compagnie d’Adam et de Patrick vers le camping-car pour nous ravitailler. Nous sommes très satisfaits du temps mis pour réaliser ce premier tour qui nous permet toujours de rêver aux 5 tours mais pour combien de temps encore.        

[Inter-tour]

A peine dans le camping-car c’est l’effervescence. Je suis à la lettre la checklist et commence par faire le plein du sac en eau et en nourriture et enlever mes chaussures et chaussettes pour faire un peu sécher les pieds. Au niveau de ces derniers, rien à signaler pas une ampoule ni de problème de frottement. Soudain, quelqu’un tape à la porte et nous demande si l’un d’entre nous est repassé au camping-car avant d’aller à la barrière. Nous répondons négativement, vu que nous sommes arrivés ensemble. Nous indiquons que notre arrivée commune a été filmée par des journalistes. La personne repart aussi brusquement qu’elle avait fait irruption. Nous sommes étonnés de ce rapide interrogatoire qui sous-entend  que quelqu’un remet en question notre probité. Je mets un lyophilisé de pâte au cheddar et un de purée au micro-onde. Dehors des journalistes prennent des photos. Pendant ce temps-là, je mets ma boussole de rechange dans le sac. Je commence à préparer mes habits pour le 2ème tour. Je m’installe à table où j’attaque les pâtes que Patrick me tend. Elles ne sont pas terribles car pas assez cuites, mais je me force à manger. J’enchaîne sur la purée puis des petites pommes de terre qui passent très bien. J’avale également un œuf dur puis de la mangue et une banane. Une fois ce festin terminé je commence à me préparer. Crémage des pieds, enfilage de chaussettes sèches le tout dans de nouvelles chaussures. J’appréhende un peu ce changement car les Asics Fuji Gel 4 ont été particulièrement performantes et confortables sur ce premier tour. Je décide de ne pas prendre de risque et de prendre le deuxième modèle le plus confortable des Hoka Mafate 2, avec lesquelles j’ai fait la Transpyrenea ; je perds un peu en accroche. Je demande à Patrick d’essayer de sécher les Asics en vue du troisième tour. Comme nous allons faire la deuxième boucle de nuit et apparemment sous la pluie, je décide de mettre ma grosse veste Gore Tex North Face. Elle pèse plus de 700 grammes, mais au moins je peux supporter des températures négatives. Je décide de laisser la seconde couche que j’ai portée tout le premier tour sur place. Première erreur, mais je ne l’apprendrai que dans quelques heures. Pour le reste, je ne change rien. Mon short long Salomon est plein de boue mais il m’a bien protégé des ronces sur le premier tour. Je refais un check global de mon sac et du matériel : lampes et batteries, lampes des secours et batterie, carte et carte de secours, alimentation, eau, Nok, boussoles, bâtons, couverture de survie, trousse de soin, chaussettes et gants de secours… Finalement, au bout de 25 minutes je suis prêt à repartir. Benoit avec qui nous n’avions pas discuté du temps que nous passerions ici est toujours à table. Je m’y réinstalle et grignote un peu en attendant qu’il termine de se préparer. Finalement après un dernier check, nous sortons du camion avec un arrêt au stand de 35 minutes. Je pense que le temps de pause que nous avons réalisé est compatible pour viser la Fun Run, mais est trop long à ce stade de la course pour prétendre en faire cinq. En conséquence, un point à travailler pour une prochaine édition. Nous rejoignons la barrière jaune le ventre plein prêt à affronter le second tour. Lazarus, nous rappelle qu’une fois qu’il nous aura donné le deuxième dossard nous serons considérés en course donc sans assistance. Une dernière vérification de mes batteries de lampe et que la frontale est bien au front et je tends la main pour avoir un dossard. Ce sera le 97. Lazarus nous souhaite une bonne balade dans la nuit. Nous sourions et repartons en sens inverse vu que nous avons la chance de faire le tour dans l’autre sens.         

[Tour 2 – Quand la météo s’en mêle]

Je jette un œil à la montre offerte par Lazarus, nous en sommes à 9H45 de course. Je me mets à rêver d’un deuxième tour en 12 heures… Nous repartons en trottinant et rapidement sortons du camp. Avant de retraverser la rivière, nous croisons Johan, accompagné de Scott Martin. Nous échangeons quelques mots. Johan a l’air en bonne forme, nous devrions nous recroiser par la suite. Je fais gaffe de ne pas me mouiller les pieds au passage de la rivière. Nous entamons la première montée plutôt calmement, ce qui me va bien. Le ventre est plein, nous sommes en pleine digestion. Nous ne savons pas si Jamil est reparti devant nous. A mesure que nous montons, la nuit se fait plus profonde. Nous croisons des coureurs seuls ou en grappe, c’est sympa. Tout d’abord Josep, qui en tant que Virgin se débrouille plutôt bien seul et novice sur ce parcours. Un peu plus haut dans la première montée, nous croisons un petit groupe, Amélia, Nikolay et John il me semble. Il est difficile de reconnaître tout le monde car la nuit est tombée. Nous ne croisons plus de coureurs pendant un long moment. Avant de repasser sur la crête, nous croisons de nouveau quelques coureurs dont Remy. Nous attaquons la montée finale où nous commençons à apercevoir au loin des lumières signes d’orage. Cela n’est pas super rassurant mais c’est loin. Nous croisons d’autres coureurs dont il me semble Gabriel, Stéphanie puis Kaz avant de bifurquer au sommet. Benoit m’avait indiqué à l’aller que les gens que nous croiserions en haut de cette montée seraient limites pour pouvoir partir sur un second tour. J’espère que cela passera pour nos camarades. Déjà nous recherchons le livre 13, et déjà nous jardinons. Les éclairs se font plus présents et le tonnerre commence à gronder au loin. J’aimerais bien que nous ayons dégagé cette crête avant de se prendre l’orage qui indéniablement fait route vers nous. Finalement, au bout d’une dizaine de minutes nous trouvons le livre. Ce n’est pas la meilleure façon d’entamer ce tour mais à ce stade rien de dramatique.

Alors que la boussole pend devant moi, je ne prends même pas la peine de regarder le cap que Benoit nous propose de prendre et le suis machinalement. Rétrospectivement, je pense que c’est une grosse erreur car en raison du peu de visibilité, j’aurai du faire l’effort d’essayer de suivre notre progression pour au moins pouvoir donner mon avis à Benoit au cas où il ait un doute plus bas. J’ai péché par excès de confiance suite à un premier tour quasi parfait et par ignorance de ce qui allait nous tomber dessus. J’en suis vraiment désolé Benoit et on ne m’y reprendra plus. A peine, nous avons rangé nos pages qu’un déluge nous tombe dessus. Une véritable pluie tropicale mais à 2 ou 3°C. En quelques minutes, nous sommes détrempés. Il pleut tellement que la visibilité s’est drastiquement réduite. Je ne sais pas comment Benoit fait pour se repérer, tout se ressemble. Je le vois à plusieurs reprises hésiter, mais malheureusement, je ne lui suis d’aucune aide. La foudre s’abat sur la montagne en face, ça y est l’orage est là. Nous ne risquons pas grand-chose dans cette forêt dense mais par reflexe je détache les attaches de mon sac où mes bâtons font figure de paratonnerre. On ne sait jamais, si j’entends les abeilles, je pourrais le jeter et me mettre en position de sécurité. Un vrai parano vous allez me dire. De vieux restes d’orages d’enfance en montagne je vous répondrai. Le terrain particulièrement pentu dans Big Hell devient de plus en plus glissant. A mesure que nous avançons notre progression devient complexe. Les appuis sont fuyants, je m’accroche à tout ce que je peux, je m’use les fesse à tomber dessus. Qui plus est par moment, il faut gérer des zones de ronces denses. La Barkley est en train de nous user, lentement mais surement. Un flash et instantanément le crac glaçant de la foudre. Ce n’est pas tombé très loin. Décharge d’adrénaline, le palpitant en prend un coup. Point positif, nous n’allons pas nous endormir facilement. Nous faisons un point avec Benoit. Nous pensons avons pris un cap trop à droite. Benoit retrace à niveau vers la gauche, mais notre progression n’est pas aisée. La pluie continue à plein régime, la montagne s’est transformée en torrent et mes Hoka ne sont pas le meilleur choix stratégique que j’ai fait. Je patine sans arrêt et tous les muscles du corps travaillent pour compenser. Nous replongeons vers le livre 12, mais cette descente est interminable. Nous ne sommes pas loin du bas, quand j’aperçois deux lumières au-dessus de nous. Ce qui me conforte sur le fait que nous soyons allés trop au sud. Nous ne sommes pas d’accord sur la direction que prennent ces lumières, pour moi les deux lumières montent pour Benoit elles descendent... Nous finissons par rejoindre le bas de Big Hell, alors que nous entendons le torrent, nous avons l’impression de reconnaître l’endroit. Tout correspond, la grosse souche, le petit sentier qui fait un lacet au-dessus du torrent, mais impossible de trouver le fameux hêtre. Nous jardinons un peu et finissons par conclure que nous ne sommes pas au bon endroit. A base de glissade et de désescalade, nous rejoignons le lit du torrent qui délimite le bas de Big Hell. Là, un gros problème se pose à nous. Sommes-nous au-dessus ou en dessous de l’embranchement des deux torrents ? Rien dans la topographie environnante ne nous permet de nous positionner. Nous n’avions aucune visibilité dans la descente et à aucun moment il nous a été possible d’identifier le vallon que nous devrions prendre pour rejoindre le livre 11. Je ne connais pas les éléments qui ont mené Benoit à faire le même diagnostique que moi. Mais je vais exposer les éléments qui m’ont déterminé à penser que nous étions en dessous de cette jonction. Tout d’abord le débit du torrent, que dis-je de la rivière qui se présente devant nous. Le débit est sans comparaison avec celui du petit torrent nous avons traversé 5 heures auparavant. Ensuite, les deux lumières de frontales qui se situaient plus en amont. Enfin, notre sentiment plus haut d’être descendu trop à droite. Benoit hésite, mais fait sensiblement le même diagnostique. Nous décidons de nous engager dans la direction d’où vient le flux du torrent. Nous entamons alors une longue séance de canyoning. Nous naviguons dans le lit du torrent en enjambant les rochers et en tentant de nous faire un chemin dans l’enchevêtrement d’arbres et de branches effondrés. Notre progression est particulièrement lente et usante. Nous scrutons la partie droite sans jamais être en mesure d’identifier le replat que nous attendons. Nous progressons laborieusement ainsi pendant presque une trentaine de minutes. Nous sommes perdus sans repères. Nous nous posons un peu pour faire le point. Nous n’avons plus trop le choix et même si ce n’est pas trop autorisé. Benoit me propose de tracer à droite pour voir sur quoi nous butons. S’il s’agit d’un chemin notre diagnostique sera le bon et nous n’aurons qu’à continuer. Sinon, il faudra faire demi-tour. Nous progressons difficilement dans une végétation dense et butons sur la pente sans toucher de chemin. Nous en déduisons que nous avons fait un beau plantage et prenons la direction de l’aval. Arès quelques hectomètres, le terrain plus plat confirme notre analyse. Nous rejoignons le vallon où les deux torrents se rejoignent et la fameuse Jeep Road. Nous sommes à contresens mais au moins nous savons enfin où nous sommes. Au moment où nous arrivons à la jonction, nous apercevons deux lumières de l’autre côté de la rive au-dessus du torrent. Nous traversons et rejoignons les lumières. Il s’agit de Johan et de Jodi qui sont au niveau du livre 12. Ils nous tendent le livre. J’estime que nous avons perdu environ 50 minutes pour trouver ce livre alors que nous avons dû déboucher tout près.

Nous repartons 2 minutes derrière nos camarades. Je suis un peu meurtri de l’épreuve, car nous avons dépensé beaucoup d’énergie mais très content de retrouver la bonne route. Nous rejoignons la Jeep Road et j’en profite pour m’alimenter et m’hydrater ce que je n’ai pas fait pendant la période de recherche. Nous restons à distance de Joan et Jodi. Quand nous quittons Jeep Road pour nous diriger vers la jonction des deux ruisseaux, Johan et Jodi se situent un peu plus haut à droite. Nous empruntons la directissime de Benoit. C’est pentu et glissant mais nous gagnons rapidement de l’altitude. Tant et si bien qu’au deux tiers de la montée nous nous situons un peu au-dessus de nos camarades de route. Nous apercevons deux frontales dans la nuit qui se rapprochent. Il s’agit de deux coureurs, dont un coureur japonais, que nous saluons. Nous gravissons les dernières pentes sous le brouillard et atterrissons au niveau des capstones. Malheureusement, le brouillard est si dense que nous ne rendons pas compte que nous sommes seulement à quelques mètres de Needle’s Eye. Nous commençons à contourner les rochers qui nous entourent mais la visibilité est quasi-nulle et nous jardinons sans repère. Au bout d’une grosse dizaine de minutes, nous nous retrouvons quasiment au point de départ quand nous apercevons Jodi au niveau du livre 11.

Nous le rejoignons et prenons nos pages. Apparemment, il semblerait que Johan soit déjà parti dans la descente. Nous échangeons quelques mots avec Jodi et nous entamons tous trois la descente. Confiant de me retrouver avec deux vétérans, et manifestement incapable d’apprendre de mes erreurs même récentes, je ne prends pas le cap avec la boussole. Pas pudeur, je ne me permettrai pas de décrire en détail de quelle manière nous avons descendu The Bad Thing, mais franchement ça ne ressemblait à rien. Je dois l’avouer, je n’ai jamais autant chuté de ma vie sur une distance aussi courte. Je me suis accroché toute la descente à tout ce que je pouvais, mais ça finissait presque toujours sur les fesses. J’ai même réussi à me prendre une grosse branche en pleine tête à en faire claquer les dents. Comme nous n’allions pas bien vite, j’ai également commencé à avoir un peu froid. Benoit qui mène la troupe se démène comme un beau diable dans cette descente pour tracer le chemin. Parfois Jodi s’écarte un peu vers la droite. Nous n’avons aucun repère et Benoit finit par s’inquiéter un peu de notre trajectoire. Un torrent nous oblige à conserver notre cap. Un peu plus bas, nous pouvons enfin franchir le torrent. Une chose est sure, à la montée je n’ai pas vu de torrent ! Plus loin, nous atterrissons dans la vallée mais très loin de la prison. Nous rejoignons un large chemin que nous empruntons en direction de la prison. Jodi nous distance un peu, mais nous le rejoignons au livre 10.

Nous arrivons ensemble au niveau du tunnel de la prison. Nous marquons tous trois un temps d’arrêt. Le petit filet d’eau qui coulait dans l’après-midi s’est transformé en gros torrent et le débit de l’eau est impressionnant. Nous nous regardons et ne sommes pas sereins. Malheureusement c’est le chemin. Le seul truc qui m’inquiète c’est de me faire emporter sans pouvoir me rétablir avant la sortie où d’un côté nous attendent des barreaux et de l’autre une cascade de 2-3 mètres. Finalement, je me décide à y aller et me retrouve avec de l’eau jusqu’à mi-cuisse. C’est super instable mais gérable. Comme nous sommes au point le plus profond, je décide de continuer. Benoit et Jodi me suivent sans hésiter. C’est vraiment très impressionnant le courant qu’il y a ! Je reste très prudent et progresse calmement. Finalement, à mesure que nous descendons le niveau est moins profond. Mais, le mal est fait, je suis trempé jusqu’aux os avec cette eau glacée. Parfois, pour mieux nous mouiller, des trombes d’eau tombent du plafond via de grosses canalisations. Nous franchissons la grille complètement trempés et frigorifiés. Heureusement, nous voici au pied de Rat Jaw. Ce qui devrait nous réchauffer rapidement. Il faut bien l’admette, nous avons galéré dans la dernière descente et bien nous allons bien galérer dans cette montée. Le seul avantage c’est qu’ici on peut débrancher le cerveau et se concentrer sur sa progression. Je décide de m’alimenter dès le bas. Je n’arrive pas à rester sur la sente centrale trop glissante. Chaque fois que j’y fais un pas, je redescends d’un bon tiers de pas ; c’est usant. Je décide d’aller sur la droite, dans les ronces. Au moins l’adhérence est meilleure. Par contre, les doigts malgré les gants dégustent. Au quart de la pente, je craque et décide de prendre mes bâtons. J’ai les doigts totalement insensibles avec le froid et les ronces et je mets cinq bonnes minutes à monter mes bâtons. Quand je repars, mes camarades de route sont déjà bien loin, je n’aperçois quasiment plus le faisceau de leur frontale. Je décide d’accélérer le rythme pour les rattraper. Je n’utilise que très rarement les bâtons en course, mais franchement, je me rends rapidement compte que sur la Barkley, du moins sur les portions les plus pentues, ce n’est pas superflu. En plus cela préserve les mains des ronces ! J’ai même sur cette section l’impression de monter plus facilement et plus vite. Je rejoins Benoit qui m’a attendu un peu au niveau du premier ressaut dans la partie la plus raide. Je fais un mix entre utilisation des bâtons et du câble métallique pour me hisser tel un misérable vers de terre sur ce raidard. Nous sommes revenus au train sur Jodi quand nous attaquons la partie finale. Le vent refait son apparition. Un peu avant d’arriver au sommet, nous entendons des cris d’encouragement. C’est incroyable, vu la météo, que des spectateurs soient venus nous supporter en pleine nuit à la Tower. Nous gravissons le dernier ressaut péniblement et là nous apercevons John Kelly en personne, tout seul alors qu’il est près d’une heure du matin ! Décidément, il est partout. Nous avons mis près de 6 heures pour faire ce que j’estime un gros tiers du parcours ! Ça craint. Avec Benoit nous allons chercher notre page, je suis frigorifié et pris de tremblements. Il ne faut pas trainer ici, nous repartons immédiatement.

Comme nous n’avons pas vu Johan dans la montée, j’en déduis qu’il nous a mis au moins trente minutes dans la vue en une descente et une montée, impressionnant ! Nous descendons à bon rythme et ne croisons personne jusqu’à l’intermédiaire où nous bifurquons sur le chemin. Je me sens mieux, il fait moins froid ici. Nous prenons à droite le chemin en direction de Pig’s Head Creek. Là en théorie c’est facile. Il suffit de trouver un petit vallon qui part sur la gauche en direction de la route. Eh bien, c’est simple sur le papier, mais quand on se retrouve dans des conditions climatiques atypiques c’est plus complexe. Nous jardinons, montons descendons pendant plus de trente minutes en vain ; persuadés d’être trop à l’ouest. Nous passons plusieurs fois au même endroit, mais impossible de trouver Pig’s Head Creek. Finalement, je décide de mettre la frontale à plein régime. Au bout de quelques minutes, nous apercevons un panneau qui réfléchit la lumière de nos frontales et nous trouvons notre route. Franchement, à ce moment précis, je suis un peu démoralisé. Nous venons encore de perdre un temps précieux et nos chances d’aller loin dans la Barkley se sont clairement éloignées. Nous rejoignons la route comme nous pouvons, laborieusement, puis la traversons. Benoit continue un long moment sur la route, je m’en étonne mais finalement, il attaque la descente au bon endroit. C’est raide, mais nous rejoignons rapidement le vallon. Nous ne trouvons pas le livre 8 directement. Nous jardinons un peu, tout au plus 5 minutes avant d’arracher nos pages.

Nous repartons mais au lieu de monter vers la gauche par l’endroit où nous étions arrivés au premier tour, nous nous engageons plus à droite. Je m’étonne mais ne dit rien. Un peu plus loin, nous nous retrouvons à longer une maison. C’est sûr, nous ne sommes pas passés par là à l’aller. Benoit à l’air sûr de lui, je le suis sans tergiverser. Au bout de quelques minutes, nous nous retrouvons en terre inconnue. Après quelques minutes supplémentaires, je reconnais la montée de Metab Hill, montée caractéristique, pendant de Testicule Spectacle par laquelle passait le parcours il y a quelques années. Du coup, nous nous savons trop au sud et faisons marche arrière. Au bout d’un moment, nous retrouvons un chemin qui finalement s’avère être le bon. Nous le quittons au niveau de Raw Dog Falls. Non sans avoir essayé, d’identifier la chute d’eau, en vain. Nous hésitons un peu car le premier pas est particulièrement pentu et nécessitera plusieurs tentatives. Nous progressons régulièrement et j’en profite de nouveau pour m’alimenter. A chaque fois que nous jardinons, j’ai tendance à oublier de boire et manger. En me retournant, j’aperçois une frontale au niveau de Pig’s Head Creek. Nous avons pas mal perdu de temps et un coureur revient derrière. Dans cette montée, nous parlons peu, l’heure tardive et la fatigue n’y sont pas étrangères ; peut-être aussi  un peu de découragement. Je vois les heures défiler impuissant, environ 7H30 sur la deuxième boucle et nous ne sommes toujours pas à la moitié du chemin. Point positif, nous sommes moins gênés par les ronces qu’à la descente et mes bâtons m’aident bien. Finalement, nous rejoignons le chemin sommital, puis rapidement le haut de Testicule Spectacle. J’indique à Benoit que je dois mettre de la crème à mes pieds pour éviter les ampoules. Je fini par trouver un gros caillou pour m’asseoir. J’en profite pour réapprovisionner les poches accessibles du sac en nourriture. Nous repartons et entamons la descente. Nous passons plus à gauche qu’à la montée pour conserver un peu d’adhérence. Le début est un peu scabreux mais nous rejoignons la partie moins pentue. Là nous conservons notre ligne plus à gauche. Ce qui s’avère au final une excellente option, bien meilleure que celle du premier tour. En bas, nous passons l’arbre où se trouve le livre 7. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas jardiné.

A force d’aller et retour, nous le trouvons en un peu moins de 10 minutes. Dans la petite section en dévers qui suit, je reste sur mes gardes. Nous rejoignons alors la route que nous traversons pour nous diriger vers New River. Au début ça ressemble à une décharge puis la végétation se densifie. Comme nous le présentions, le débit de la rivière est particulièrement impressionnant. Nous nous regardons et décidons de tenter de traverser. Personnellement, je n’ai pas envie de me farcir 1,5 km de plus pour prendre la variante du pont. Je décide de faire le premier pas, et me retrouve avec de l’eau à mi-cuisse. Elle est gelée et c’est vraiment limite au niveau de l’équilibre tant le courant est fort. Aussi, je décide de coincer le bâton en amont entre les roches avant de faire un pas supplémentaire. Le tout me semble bien calé et j’avance d’un pas quand le bâton sous la pression de mon poids et du courant cède. Je me retrouve emporté par le courant et fait deux mouvement de brasse avant de retrouver mon équilibre sur l’autre rive. Je suis totalement trempé à tout le moins jusqu’aux bras. Le seul avantage de cette situation c’est qu’en raison de l’humidité et du froid, je ne risque pas de m’endormir. Benoit lui est passé sans encombre mouillé jusqu’à la taille. Mon bâton tout neuf est cassé. Benoit m’aide et le range dans mon sac. Plus de peur que de mal, nous entamons la longue montée vers Fyke’s Peak. Je grelotte mais comme nous montons, je pense me réchauffer. Nous empruntons ce qui ressemble au petit vallon par lequel nous sommes descendus. Assez rapidement, malgré l’effort, je commence à claquer des dents. Nous rejoignons l’épaule sensée nous mener au sommet. Nous ne montons pas vite, les dernières heures nous ont bien éprouvés : les chutes, l’énergie dépensée à monter et à chercher notre chemin… Benoit s’interroge de notre cap car nous naviguons plein sud au lieu de nord. Même là nous nous plantons, il faut le faire quand on connait la topographie des lieux! Heureusement, nous corrigeons le tir assez rapidement. Plus haut, Benoit qui connait bien le coin opte pour suivre le chemin afin d’éviter tout nouveau plantage. Nous le quittons plus haut, peu après un lacet pour nous engager dans le final. Je claque toujours autant des dents. Il fait particulièrement froid. Je me force malgré tout à manger un tube de caramel beurre salé. Nous apercevons des petits mulots gris qui s’éparpillent à la lumière de nos frontales. Plus nous montons et moins nous y voyons. Le brouillard fini par se faire particulièrement dense. Nous rejoignons la zone des petites falaises que nous décidons de gravir par la gauche soit notre option du premier tour. Un peu d’escalade et nous sommes au-dessus des barres. Ça n’est pas le moment de glisser. Nous continuons à monter totalement à l’aveugle. Benoit suit le cap et moi je suis Benoit. On sent le mec utile ! Nous cheminons bon an mal an sur les dernières pentes. Quand nous atteignons le haut, comme je le présentais, la navigation, dans cet environnement sans repère, n’est pas aisée. Benoit s’en sort superbement bien et trouve la cachette du livre 6 rapidement ; ce qui me remonte un peu le moral.

Après un rapide arrêt, j’ai bien froid et me mets à trembler. Nous prenons la direction de Hiram’s Pool and Spa. Enfin ce que nous croyons être la direction. Bien évidemment, je n’ai pas pris le cap. Franchement à la Barkley il faut naviguer ? C’est pentu et nous n’y voyons rien. Nous progressons comme nous pouvons et après une descente hasardeuse, nous atterrissons sur un replat. Nous ne reconnaissons pas le coin. Nous prenons la direction du nord et longeons quelques flaques mais rien qui ne ressemble à la fameuse piscine. Nous la retrouvons plus loin puis bifurquons pour continuer la descente. La visibilité s’est particulièrement réduite et par moment nous ne voyons pas à plus de 3 mètres. Après une dizaine de minutes, alors que de jour et sans brouillard la section ne pose aucun problème, nous nous confrontons à un mur. Partout la pente est très raide et nous semble avec le peu de visibilité se terminer sur des barres rocheuses. Nous tentons à plusieurs reprises de descendre, mais devons renoncer à chaque fois de peur de faire grosse chute. Nous jardinons un beau moment sans trouver le passage de Bob Cat Rock. C’est très frustrant car nous savons qu’il suffit de descendre mais rien n’y fait. Nous perdons bien ici une bonne demi-heure et surtout beaucoup d’énergie. Quand finalement, par on ne sait quel miracle nous finissons par rejoindre le chemin caractéristique qui se situe au niveau de Bob Cat Rock. La visibilité s’étant réduite à moins de trois mètres, impossible de savoir si nous devons prendre le chemin à droite ou à gauche. Nous nous concertons et finissons par partir à gauche sans réelle conviction. Notre mission, pour pouvoir nous repositionner, identifier un énorme rocher qui se situe à environ 4-5 mètres en amont du chemin. La visibilité est si faible que nous devons régulièrement sortir du chemin pour tenter d’apercevoir quelque chose. Au bout d’un moment, le chemin commence à descendre de manière significative. Aussi, nous stoppons et après un bref échange, faisons demi-tour considérant que nous nous sommes trompés. Le chemin est totalement détrempé, si bien que nous le longeons sur le bas-côté. Dix minutes plus tard, même scénario en sens inverse quand nous estimons pour sensiblement les mêmes raisons que nous sommes allés trop loin. Nous sommes perdus sur un chemin, il faut le faire quand même ! Je suis d’un naturel positif, mais là se sentiment d’être dans une impasse commence à affecter mon moral. Je suis frustré mais, je n’ai rien fait pour ne pas me trouver dans cette situation. Je suis depuis le début sans vraiment m’impliquer dans la navigation pensant que la connaissance terrain de Benoit fera le reste. Le déroulement du premier tour m’a mal conditionné. De nuit et dans le brouillard, dans des conditions difficiles, la navigation n’a plus rien à voir et mon aide même mince aurait pu contribuer à faciliter le travail de Benoit.  Je commence à m’en vouloir sérieusement de mon manque d’implication dans la navigation. Et si nous sommes encore en bonne posture, relativement à nos camarades, bien que galérant depuis des heures, nous le devons uniquement aux efforts fournis par Benoit pour nous orienter. A force de persévérance et de chance nous identifions Bobcat Rock ! Nous ne sommes pas sauvés, mais au moins nous savons enfin où nous sommes. Une quinzaine de minutes supplémentaires évaporées… Heureusement, sans hésitations nous progressons vers le livre 5. Le principal souvenir que j’ai de cette descente, c’est d’avoir glissé, puis rampé, puis glissé… et  m’être accroché à tout ce que je pouvais. Nous trouvons le livre 5 facilement.

La remontée se fait à un rythme tranquille,  nous progressons dans des pentes exigeantes. Sur le haut de Leonard’s Buttslide, malgré  la pente, je m’alimente. Peu de temps après, nous rejoignons le chemin sous les premières lueurs du jour. Après 3 minutes passées à trottiner, Benoit m’indique qu’il souhaite faire une pause. Nous nous arrêtons à même le chemin et Benoit s’assied sur un petit tronc qui jonche le sol. J’en profite pour réorganiser mon sac et rapatrier le reste de nourriture vers les poches accessibles. Je sens que Benoit est éprouvé d’avoir dû rester concentré toute la nuit. Et cette pause est largement méritée. Je m’assieds également quelques minutes. Le froid du petit matin aidant, je propose à Benoit de repartir. Au moins, il ne pleut plus et le brouillard commence à se dissiper. Nous repartons en trottinant jusqu’au moment où nous quittons le chemin. Nous suivons le même sentier qu’à l’aller très direct et efficace. Je profite de nouveau du joli paysage de ce vallon. Nous nous retrouvons assez vite au sommet du second ressaut juste sous  Stallion Mountain. Je regarde ma montre, pour la Barkley c’est définitivement fini de nos chances, ne reste plus que la fun Run mais pour cela, il nous faut rejoindre la barrière en moins de 4H30. Idéalement,  moins si nous voulons conserver des chances réelles de la terminer. Je décide de mettre un peu de rythme pour nous laisser une chance. Je me sens la force de tenter le coup et surtout, il ne nous reste que peu de marge pour le faire. La Fun Run, pour moi, se serait déjà un super résultat pour une première participation. Pour Benoit, je sais de nos échanges d’avant course que ce serait également un bon résultat. Aussi, sur le chemin en balcon nous courrons à bon rythme. Après une dizaine de minutes et quasiment à l’endroit où quelques jours auparavant j’avais stoppé ma reconnaissance de la partie nord du parcours, Benoit me lance. « Valery, il font qu’on parle ». Je m’arrête, Benoit me regarde et m’indique qu’il souhaite stopper là. J’essaie de le convaincre de continuer, mais il estime que nos chances même pour la Fun Run se sont estompées. Sachant qu’il a déjà réalisé deux tours par le passé, il ne se sent pas de faire les deux dernières montées pour boucler deux tours. Je retente une dernière fois de le convaincre de continuer, en vain. Je n’insiste pas car je pense que Benoit, très gentiment, se sachant un peu dans le dur me laisse une chance de finir le deuxième tour dans les temps. Je quitte Benoit avec un sentiment mitigé. J’ai franchement envie de continuer cette course et d’aller boucler ce deuxième tour dans les temps, en même temps sans Benoit, je n’aurai pas pu être aussi loin dans la course. Je quitte Benoit et me dirige vers le ravitaillement. Il me reste environ 4H15. Sachant que nous avons mis 2H50 à l’aller, je me dis que c’est jouable. D’autant plus, que j’ai une descente en plus dans ce sens, j’ai juste un peu plus de kilomètres dans les pattes. Je fais le plein d’eau et vide mes chaussures. Je repars en direction du livre 4 que je trouve sans difficulté.

S’ensuit une grosse descente où je n’arrête pas de courir puis traversée des coal ponds jusqu’à la cascade des castors. Là premier plantage, je prends le sentier qui monte vers Coffin Spring. Heureusement, je m’en rends compte très rapidement et perd tout au plus 1 minute. Je reprends la bonne direction passe devant SOBD, puis entame une longue remontée sur le NBT. Je ne sais pour quelle raison débile, idée saugrenue, manque de lucidité… Toujours est-il qu’à un moment, je décide qu’il est temps d’aller chercher le livre 3. Je quitte le sentier du NBT et grimpe pleine pente comme attendu. Cela me parait super long, mais ça ressemble tellement à la montée que je suis sensé grimper, que je continue. Je croise un endroit qui ressemble à un coin de piquenique, ce qui m’étonne un peu car je n’ai pas souvenir d’en avoir vu à l’aller. Je continue encore et fini par arriver au sommet. Je fais le tour du propriétaire, mais ne reconnait strictement rien. Pourtant, c’est simple le bouquin est sous une grosse pierre. Petit moment de panique. Que fais-je maintenant? Soit, je continue à errer sur ce sommet dont je n’ai aucun souvenir, soit je me barre maintenant au risque de louper le 3ème bouquin. Je me pose 2 minutes pour prendre ma décision. Je décide de rebrousser chemin. Cela ne m’amuse pas, car je vais perdre une grosse vingtaine de minutes dans cette affaire et environ 120m de dénivelées en plus pour rien. Je retrouve le NBT et quelques centaines de mètres plus tard réalise mon erreur. En effet, le sentier redescend un peu avant de remonter. J’ai bifurqué trop tôt. Je suis passé la veille et trois jours auparavant en reconnaissance et j’ai oublié que le chemin redescendait avant l’objectif. Quelle brêle je fais. En haut de la montée, je coupe en direction du livre 3 que je trouve sans problème.

Il me reste environ 2H30 pour terminer dans les temps. J’ai sacrément hypothéqué mes chances de finir le second tour dans les temps. Je décide d’accélérer le rythme, quitte à me cramer, mais je veux finir ce tour dans les temps. Le chemin sinue en plat puis en descente. J’arrive approximativement à l’endroit où je dois quitter le sentier pour tracer droit dans Hillpocalyspse. Malheureusement, je vais trop loin et me retrouve sur les lacets du sentier qui descendent sur le flanc gauche de la crête que je dois suivre. Je fais un point avec la carte et la boussole et décide de ne pas remonter et de couper en traçant vers le cap fixé. Je me retrouve au-dessus de la petite falaise que je passe par le même endroit qu’au premier tour. Je retrouve la crête après une petite traversée en balcon. Dans la descente, j’essaie dès que possible de courir. Une fois sur la crête le cheminement est simple, une dernière hésitation sur le bas et je file directement sur le livre 2.

Je range la page dans le sac et traverse le ruisseau. Je refais un point cap et carte pour m’assurer de suivre la bonne crête, puis entame l’avant dernière montée. Le début est peu pentu, mais ça se redresse rapidement. Je ne me ménage pas et essaie de maintenir un bon rythme. Je suis la boussole régulièrement et fais attention de bien rester sur la gauche de la crête. Je rejoins le NBT un peu trop à l’est mais rien de grave, me voici en haut de Jury Ridge avec un peu moins de deux heures pour rejoindre la barrière. Je sens à ce moment que c’est possible. Je descends à bon rythme en direction de Philipp’s creek. Cela me semble un peu plus long qu’à l’aller. J’en profite pour faire le plein en alimentation et en hydratation avant la dernière grosse montée. Avant d’attaquer la dernière montée, une des plus impressionnantes, Jaque Mate Ridge, je fais un point carte et boussole. Je repère bien le ruisseau que je dois laisser sur ma gauche et c’est parti. Ça monte fort au début, mais ça monte encore plus fort après. Je sens les muscles qui répondent bien et reste concentré sur la ligne à suivre. Je fais une mini pause à mi pente pour refaire un point et faire un peu redescendre le cœur. Je passe sensiblement au même endroit qu’à l’aller. Je ne tente pas de passer à droite où était passés les leaders entre deux barres rocheuses. Je fini par rejoindre un petit balcon. Persuadé d’être au niveau du livre 1, je me dirige vers l’ouest. Je commence à jardiner, mais à l’ouest rien de nouveau, pas de livre. Je stresse un peu car il me reste moins d’une heure pour arriver, ça commence à devenir tendu. Je m’arrête au bout d’un moment pour réfléchir. Tout d’abord, il est impossible que j’aie loupé le balcon avant. Je décide donc de continuer ma progression vers le haut quitte à faire demi-tour si je ne trouve rien. Je reprends l’ascension sur la ligne de crête et après une vingtaine de mètres d’ascension me hisse sur un nouveau balcon, le bon. Je trouve rapidement le livre et range la page.

Il me reste un peu plus de cinquante minutes et je sais que mes chances d’en finir avec ce 2ème tour sont désormais bonnes. Je continue ma progression sur la crête qui traverse la superbe forêt de pin. Je me retrouve assez vite au sommet, et bifurque en direction des Pillar’s of Death. Dans la descente qui commence, j’accélère encore le rythme et cours dès que possible. Je rejoins un peu plus loin le NBT en direction du camp. Il me reste 14 lacets et environ 30 minutes pour arriver. Je compte chaque lacet et à mesure que je descends relance encore plus fort. Je rejoins finalement le bas du sentier où j’aperçois quelques personnes qui m’attendent, notamment Patrick et Adam. Je relance sur les derniers hectomètres du chemin qui mène à la barrière. Où j’arrive en 26H26’26 » ! Je suis accueilli par Lazarus et quelques supporters. Je donne mes pages à Lazarus content d’en avoir terminé avec ce deuxième tour. Heureusement, il en compte treize !

[Inter-tour]

Nous discutons joyeusement avec les copains de la french team venus me féliciter, Benoit, Alexandre, Cyrille, Patrick, Adam, Bertrand…  Quand, au bout de quelques instants, Lazarus me dit « Valery tu repars sur un troisième tour ». Je réponds dans un premier temps par la négative. Il faut être objectif, je me suis bastonné pour arriver dans les temps, j’ai les cannes un peu dures et pour repartir dans de bonnes conditions, il me faudrait faire un festin. Le problème c’est que rapidement tout le monde me met la pression. Je pense que cela doit ressembler à ce que Gaëtan Janssens a ressenti, lorsque tout le monde lui mettait la pression pour qu’il reparte sur un troisième tour sur la Chartreuse Terminorum 2017. Finalement, je cède à la pression et décide d’accepter. Adam me ramène un coca et 7-8 barres de céréales américaines. Le top aurait été que je puisse manger ce que j’avais prévu, des pâtes, de la purée, des bananes… Mais sans assistant, je me retrouve à boire 50cl de coca et à mettre quelques barres de céréales que je ne connais pas dans mon sac pour partir faire un troisième tour. En tout cas pas de quoi envisager sereinement de faire un tour supplémentaire sur un parcours aussi exigeant. Je joue le jeu et demande un nouveau dossard moins de sept minutes après mon arrivée !

 

[Tour 3 - épilogue]

Je range le dossard, intimement convaincu que je n’irai pas beaucoup plus loin. Je refais le plein d’eau et quitte le camp. Je ne fais même pas l’effort de trottiner. Je rejoins le Flat Fork Walking Trail et commence à cogiter, tempête sous un crâne. Avec la nourriture que j’ai embarquée et l’impossibilité de me ravitailler, j’estime mes chances de terminer le troisième tour dans les temps, soit 36H, inférieures à 99,95%, soit moins d’une chance sur 200 donc quasi nulles. En plus, mes jambes ont subi l’agression des dernières heures de course et mon forcing pour rentrer dans les temps. Elles vont avoir du mal à s’en remettre avec mon estomac vide. Tout penche pour un retour rapide vers le camp. Mais le truc qui m’ennuie, c’est qu’il est dommage, alors que la météo est devenu plus favorable et que j’ai l’opportunité de faire une bonne partie de la boucle de jour de ne pas continuer au moins pour conforter ma connaissance du terrain, notamment la première descente, et, dans la perspective d'une tentative future, de tordre le cou au destin... Je décide de m’arrêter à la traversée de rivière pour manger un peu, me rincer les jambes et les pieds à l’eau fraîche et surtout pour prendre quelques minutes de réflexion avant de prendre toute décision. Après m’être un peu alimenté et rafraichi, je m’allonge cinq petites minutes, puis repars. Je traverse la rivière, puis entame la première montée. Je monte laborieusement et sens que mes jambes sont bien dures. Après quelques minutes d‘ascension, je m’arrête et fini par choisir de rentrer au camp. C’est une décision difficile, car je n’aurai peut-être jamais plus la chance d’être sur la Barkley. Abandonner de la sorte ne faisait pas partie des options que j’avais envisagée avant de prendre le départ. Je pensais au moins sortir la tête haute en finissant un tour même hors délai. Mais là combien d’heures me faudra-t-il, qui plus est avec juste 7 barres de céréales, pour terminer ce 3ème tour : 14, 17, plus ? Je ne m’en sens pas la volonté ni la force. Il faut bien l’admettre la Barkley a eu raison de moi. Je rentre tout penaud au camp. Malgré tout, je suis accueilli avec plein de messages sympathiques. Je rejoins la barrière et rejoins Lazarus qui est encore là. Je lui que c’en est fini pour moi. Lazarus note l’heure de mon échec sur un papier. Je suis ému et malgré ma déception, je n’arrive pas à quitter mon sourire. Nous échangeons quelques mots. Je ressens beaucoup de bienveillance dans le regard translucide du maître de cérémonie. Je suis particulièrement touché par un message de Lazarus à mon égard faisant allusion à un de ses proches. Voilà, l’heure du tap, la fameuse musique aux morts de l’armée américaine, jouée à la trompette par Davy. L’émotion m’envahit, c’est définitivement la fin de mon parcours. Je profite pleinement de cet instant solennel.

Pour finir, si je devais synthétiser cette expérience de la Barkley 2018, je dirais exceptionnelle et brutale.

J’apprendrai par la suite que l’édition a été une véritable hécatombe. Nous sommes cinq à avoir fini deux tours dans les temps. Seul Gary finira le troisième tour dans les délais de la Fun Run, mais au-delà des 36 heures permettant d’entrer sur la quatrième boucle. Guillaume finira également trois tours mais au-delà des 40H.

[Et après]

Difficile de revenir intact d’une telle expérience. Cette course ma profondément marqué. J’en ai rêvé avant la nuit mais également après ce qui jusqu’alors ne m’étais jamais arrivé. J’y ai trouvé tous les ingrédients que j’y cherchais : la rudesse, la pente, la rusticité, l’autonomie mais surtout mes limites. J’ai pris énormément de plaisir dans cette course, je m’y suis senti bien. Puis le temps a fini par m’user comme beaucoup d’entre nous. Mais dès le lendemain de mon abandon, je n’avais qu’une hâte ; c’était de reprendre le départ, que celui-ci soit donné le WE d’après. Une irrésistible envie de recommencer pour corriger mes erreurs et repousser mes limites en me confrontant de nouveau à ce parcours. Pour les gens laborieux dont je fais partie, l’expérience est un trésor. Je sais désormais ce que je dois principalement travailler ou mettre en œuvre pour affronter la bête.

I’ll be back (Arnold Schwarzenegger -Terminator 1984). 

[Remerciements]

Tout d’abord, je remercie chaleureusement Lazarus pour m’avoir permis de vivre cette course unique tant par la difficulté et le caractère rustique que je cherchais, que pour l’ambiance chaleureuse et familiale que j’ai découvert au camp. J’ai pleinement profité de cette chance, même si je n’ai pas été totalement à la hauteur de l’évènement.

Ensuite, je veux remercier Benoit non seulement pour toute son aide précieuse, tant dans la phase de préparation que durant la course, mais aussi pour la belle tranche de vie partagée à FH en compagnie de son père et d’Adam. Un grand merci pour ta générosité et ton sens du partage.

Sur cette préparation, j'avais aussi deux supers sparing partners que je tiens à remercier et qui ont partagé cet hiver de nombreuses sorties dénivelées souvent sous une météo pénible : Cyril Leroy et Philippe Mesquita! Je remercie également les copains qui m'ont bien accompagnés le WE sur les sorties longues Pascal Gangloff, David Lebray, Bruno Albesa, Jacques Dubois. Ainsi que mes camarades de club Epic&Trail et autres coureurs Rambolitains pour leurs nombreux encouragements.

Je tiens à remercier chaleureusement Jodi Isenor, pour ces conseils tant sur son entrainement que pour la course, Christian Mauduit et Wouter Hamelinck pour leur aide précieuse.

Enfin, je remercie très chaleureusement les personnes qui ont soutenu ce projet et qui très généreusement m’ont m’aidé à le financer : Evelyne & François Liber, Jean Lezzoche, Rémy Menrath, Renée & Lydie Menrath, Karine & Jean-Paul Matyus, Frédéric & Corinne Dussart, Béatrice Houque, Marie Bossy, Francis Deroo, François & Cathy Caussarieu/Hégu, Monique Nicolas, Jean-Pierre Caussarieu, Gérard et Marlène Stutz, Michel Ponthieu, Jacques Campe, Juliette Caussarieu, Lorea Caussarieu, Patrick Bastien, Thierry Dufour, Jeanine Lauze, Christian Bouye, Christelle & Christophe Courties, Maeva Nacher, Simon Meleard et son association, Cyril Leroy, Marine Matyus, Dominique Monget-Sarrail , Marie-Anne Bastien de Beauchamp, Eric Bonnotte, Thierry Malvoisin, Cyril & Véronique Gorin, Michel Demet, Jean-Pierre Rigal.  

 

 

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